Humanisme

J’aurai voulu vous parler du film de Ken Loach, Moi, Daniel Blake, mais nous sommes le jour d’après l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis d’Amériques. Impossible de ne pas faire un lien entre ces 2 sujets !

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Le film de Ken Loach met en scène un menuisier qui, suite à une crise cardiaque, ne peut plus travailler. Malheureusement le « décisionnaire » de l’allocation refuse la reconnaissance de son handicap ce qui prive Daniel Blake de revenus. Il peut faire appel de la décision une fois que celle-ci lui aura été officiellement notifiée par téléphone (même si il a déjà reçu la notification par courrier) à une date inconnue. Dans l’intervalle, Daniel pour toucher une aide doit être en recherche d’emploi (emploi qu’il ne pourra pas exercer du fait de sa maladie cardiaque). Problème : l’ensemble des démarches doit se faire sur internet (« Digital by default ») alors que Daniel ne sait pas se servir d’un ordinateur.

On assiste à quelques scènes hilarantes à force de surréalisme, entre une administration vissée à des procédures figées d’où l’humain est exclu (impossibilité de faire des déclarations papiers, durée d’attente au téléphone longue et surfacturée, nombre et preuves de recherche d’emploi impossibles à réunir, …) et la méconnaissance de l’outil informatique (utilisation de la souris, temps alloué à l’utilisation de l’ordinateur libre-service trop court, …) par Daniel.

A côté de cette administration déshumanisée, les humains du film sont, eux, très humains. Jamais, Daniel Blake n’arrête d’avancer et de chercher une solution,. Certains employés de l’équivalent de Pôle Emploi, les jeunes utilisateurs des ordinateurs, ou encore le voisin débrouillard de Daniel, n’hésitent pas amicalement à l’aider et à le conseiller. On sent une solidarité dans l’adversité entre tous.

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Moi, Daniel Blake, je demande une date pour mon appel avant de crever de faim et changez la musique des téléphones

Solidarité que, d’ailleurs, Daniel Blake met lui-même en oeuvre en aidant une jeune mère de famille et ses 2 enfants, rencontrés à Pôle Emploi, fraichement débarqués dans la ville et sans ressources. En contrepoint des procédures et autismes du système, la relation d’échange et de solidarité entre Daniel et Katie et ses 2 enfants est un modèle d’équilibre et de respect mutuel.

Sans dévoiler la fin du film, les phrases qui le conclue décrivent l’espoir d’un monde pour monde à l’humanité retrouvée, pour un monde où le citoyen serait respecté et entendu, pour un individu reconnu et pris en compte. C’est tout le sens de « Moi, Daniel Blake, … ».

Certains pourront dire que la victoire de Donald Trump aux USA a été obtenue auprès des pauvres en réaction au système que dénonce Ken Loach. A l’opposé du discours d’exclusion et haineux de Trump, Ken Loach oppose un discours de tolérance et d’humanisme.

Peut-être Trump prétend-il défendre les « petites gens » contre « le système », mais j’ai la conviction qu’il renforcera les contrôles et la déshumanisation des relations au motif de lutter contre la fraude et les détournements du système, plutôt que de bâtir un modèle de relation basé sur la confiance et le respect des individus.

Oui, il faut changer de système, il faut changer le Système. Mais il y a différentes manières de le faire. Trump, Le Pen, Sarkozy, Erdogan, Poutine, Orban, pour n’en citer que quelques-uns (et pardon pour les autres que j’ai omis ;-)) sont les hérauts d’une forme intolérante et totalitaire. Podemos, Bernie Sanders et quelques autres en incarnent une autre. Mais cette liste des porteurs d’un autre modèle est courte et vacillante. Il nous reste à inventer et construire une autre manière de vivre ensemble, une autre manière de concevoir les rapports humains, une nouvelle façon de remettre l’humain au centre, une nouvelle approche de la gestion collective du bien commun. Trump a gagné, le système tue des Daniel Blake, CONSTRUISONS, DISCUTTONS, AGISSONS !

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Manhattan

Les séries télévisées américaines approchent souvent une réalité que les mots et les discours peinent à transmettre.

manhattan-3C’est le cas dans la série en 2 saisons Manhattan. Elle raconte la création et la mise au point dans le plus grand secret de la bombe atomique (« le gadget ») dans une base du désert du Nouveau Mexique.

Enjeu technologique, certes, mais aussi débat moral sur les effets de la bombe et son utilisation. Alors que la lutte contre le nazisme et la nécessité de devancer les allemands dans la maitrise des technologies nécessaires à la réalisation d’une bombe atomique sont prédominants pendant les 2/3 de la série, la capitulation de l’Allemagne n’interrompt pas les recherches et les préparatifs d’un « test » en grandeur réelle.

A ce titre, la saison 2 est essentiellement centrée sur les problèmes d’espionnage (soviétique, notamment) et sur les questions éthiques liées à la bombe. Comment faut-il l’utiliser pour arrêter la guerre ? Une explosion restreinte, minimisant, voire évitant les morts civils, serait-elle suffisante pour marquer suffisamment les esprits et servir de dissuasion suffisante pour empêcher les guerres mondiales et l’utilisation de cette technologie dans une guerre ?

manhattan-4Le discours prononcé par Charlie Isaacs, présenté dans la série comme le responsable scientifique du camp de Los Alamos et adjoint de Oppenheimer, dans l’épisode 9 de la saison 2 est éloquent. Il défend la nécessité d’accepter la monstruosité de l’utilisation de la bombe sur une ville et de maximiser les victimes civiles pour créer un effet de choc massif et éviter la guerre en cours et prévenir toutes les suivantes. Hiroshima et Nagasaki, les 5 et 9 août 1945, ont été les victimes de ce raisonnement.

Faut-il savoir sacrifier quelques-uns pour sauver la masse (« sacrifrice the few to save the many ») ?

Ce débat peut paraître lointain, si on se réfère à l’énormité du poids moral de la décision de bombarder 2 villes et de faire entre 100.000 et 250.000 morts sans compter les morts postérieures liées au cancer.

Pourtant des exemples récents, toutes proportions gardées, montrent que cette question reste essentielle. De la sécurité d’Israël aux lois de renseignements et autres espionnages des populations, du fichage à l’enfermement préventif des « possibles » terroristes, il est toujours possible pour un gouvernement de justifier les raisons pour lesquels il prive de libertés certaines personnes ou sa population. Il suffit de regarder ce qui se passe en ce moment en Turquie.

La question n’est donc pas de savoir qui a raison, qui a tort. Mais de avoir où se situe le contrôle et devant qui se matérialise la responsabilité de la décision (accountability).

Tant que la décision et son contrôle restent secrets, tant que les personnes impactées par la décision, même a posteriori, ne peuvent pas évaluer le résultat par rapport aux attentes initiales, toute décision prise par quelques-uns au nom du « peuple » est de nature totalitaire.

Manhattan n’omet pas d’aborder cette question en évoquant le rôle et les méthodes des services secrets pour lutter contre l’espionnage, méthodes où l’arbitraire n’est jamais loin.

Comme elle évoque rapidement l’impact écologique et médical des retombées radioactives sur l’environnement et les populations.

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Au final, une série à voir que je recommande.