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Nation

Les appels à la Nation, à la solidarité de la Nation, ont été nombreux notamment dans la bouche du président de la République.

Nous sommes en guerre et la Nation soutiendra ses enfants qui, personnels soignants en ville, à l’hôpital, se trouvent en première ligne dans un combat qui va leur demander énergie, détermination, solidarité.

Emmanuel Macron, 16 mars 2020

Je ne suis pas bien sûr de savoir ce que représente cette nation.

Le film Les Misérables, de Ladj Ly, illustre à mon sens parfaitement les difficultés attachées à cette notion.

Le film commence par des images des supporters de football réunis pour soutenir puis fêter l’équipe de France lors de la Coupe du monde 2018. On serait tenté de dire que la France est réunie pour soutenir son équipe, que la Nation se rassemble pour célébrer la victoire. D’ailleurs, le nombre de drapeaux français portés par les supportés ou peints sur leurs visages ne témoignent-ils pas de cette ferveur nationale ?

C’est toute la force du film de Ladj Ly que de montrer que cette réalité est plus complexe. Tout ceux qui sont rassemblés participent de la même ferveur, de la même unité, malgré leurs différences , de classe sociale, d’origine géographique, de culture ou de religion. C’est peut-être cela la Nation.

Pour autant, et c’est ce que montre merveilleusement bien le film, la réalité du quotidien est plus complexe.

Sans jamais poser un regard misérabiliste sur les banlieues, Montfermeil en l’espèce, il montre une réalité que nous ne connaissons pas ou que nous ne voulons pas voir.

Du père inquiet et impuissant pour son enfant adolescent, des femmes africaines organisant la tontine, des frères musulmans luttant contre le trafic de drogue au « grand frère » organisant la livraison des courses pour les personnes âgées, à l’adolescent au look d’intellectuel, chacun a une une facette positive, socialement intégrée et utile à la communauté.

Le film n’oublie pas que les mêmes ou d’autres ont des facettes plus sombres et plus nuisibles. Qu’au-delà de l’unité de lieu, il y a des territoires, des zones d’influence ou de responsabilité que le personnage du « grand frère », « Monsieur le Maire » parce qu’il est payé par la mairie, incarne parfaitement.

Et, au milieu de ce jeu d’influences, il y a l’Etat, du moins ses représentants locaux qu’est la Police Nationale. Et là, ça se gâte nettement. Sans perdre cet équilibre qui fait la force du film, personne n’est, ni tout blanc, ni tout noir, la place de l’Etat n’est rien moins que précaire, illégitime. Sa fonction d’exemplarité est absente, ses objectifs sont au mieux incompréhensibles, …

De l’unité du début du film, on passe, insensiblement, au conflit. Le bouillonnement, la soif de vivre, qui étaient présents lors de la Coupe du monde sont toujours là, mais s’expriment différemment et conduit à l’affrontement. Ce qui aurait pu aider à résoudre les difficultés par le dialogue et la compréhension produit l’effet inverse car ce qui est flagrant, c’est l’absence d’unité des « adultes », c’est la primauté des intérêts particuliers sur les intérêts de la communauté.

Où cela mènera-t-il ? Comment cela se terminera-t-il ?

Découverte

En ces temps de confinement, beaucoup de gens découvrent (et j’ajouterai, perfidement, pour certains innocemment) que certaines professions « dévalorisées » sont utiles et mêmes essentielles : caissier·e·s, livreurs, le personnel de La Poste, les enseignants …, non sans mentionner tout le corps médical, du plus petit, aide-soignants et accompagnateur de vie, au plus grand, médecins et réanimateurs, par exemple, et les chercheurs.

Bref, toutes ces professions ignorées, malmenées, sous-payées dans beaucoup de cas,  tous ces services publics qu’il fallait réduire car trop chers et plus efficace privatisés, reprennent de la visibilité au point de faire craindre un réveil social douloureux au gouvernement.

Pourtant, rien de tout cela n’est neuf et les alertes sont anciennes, il suffit de se rappeler les grèves dans les hôpitaux ces derniers mois. Et à ceux qui diront que c’était une grève catégorielle et spécifique, je renverrais au film Hors Normes, d’Olivier Nakache et Eric Toledano, sorti en 2019 et présenté en clôture du Festival de Cannes 2019.

Le film montre le travail, souvent difficile, mais toujours joyeux, de deux associations qui s’occupent d’adultes atteints de troubles psychiques, autismes notamment, et dont c’est le seul recours face aux institutions « normales ». C’est un film drôle, gai, optimiste, et qui ne cache rien d’une réalité dure, angoissante, et des difficultés que vivent les familles de ces adultes, mais aussi les associations face au système. C’est aussi un film sur la joie de vivre ensemble, quel qu’on soit. Il y a toujours de l’espoir.

Alors, à tout ceux qui oublient qu’il existe des pauvres,  des malades, des blessés de la vie, à tout ceux qui pensent d’abord à leur confort, leur croissance, leur compte en banque, regardez ces films qui vous parlent d’une réalité qu’on ne veut pas voir et arrêtons de dire qu’on ne sait pas et de découvrir que cela ne fonctionne pas quand il est déjà trop tard.

 

Humanisme

J’aurai voulu vous parler du film de Ken Loach, Moi, Daniel Blake, mais nous sommes le jour d’après l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis d’Amériques. Impossible de ne pas faire un lien entre ces 2 sujets !

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Le film de Ken Loach met en scène un menuisier qui, suite à une crise cardiaque, ne peut plus travailler. Malheureusement le « décisionnaire » de l’allocation refuse la reconnaissance de son handicap ce qui prive Daniel Blake de revenus. Il peut faire appel de la décision une fois que celle-ci lui aura été officiellement notifiée par téléphone (même si il a déjà reçu la notification par courrier) à une date inconnue. Dans l’intervalle, Daniel pour toucher une aide doit être en recherche d’emploi (emploi qu’il ne pourra pas exercer du fait de sa maladie cardiaque). Problème : l’ensemble des démarches doit se faire sur internet (« Digital by default ») alors que Daniel ne sait pas se servir d’un ordinateur.

On assiste à quelques scènes hilarantes à force de surréalisme, entre une administration vissée à des procédures figées d’où l’humain est exclu (impossibilité de faire des déclarations papiers, durée d’attente au téléphone longue et surfacturée, nombre et preuves de recherche d’emploi impossibles à réunir, …) et la méconnaissance de l’outil informatique (utilisation de la souris, temps alloué à l’utilisation de l’ordinateur libre-service trop court, …) par Daniel.

A côté de cette administration déshumanisée, les humains du film sont, eux, très humains. Jamais, Daniel Blake n’arrête d’avancer et de chercher une solution,. Certains employés de l’équivalent de Pôle Emploi, les jeunes utilisateurs des ordinateurs, ou encore le voisin débrouillard de Daniel, n’hésitent pas amicalement à l’aider et à le conseiller. On sent une solidarité dans l’adversité entre tous.

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Moi, Daniel Blake, je demande une date pour mon appel avant de crever de faim et changez la musique des téléphones

Solidarité que, d’ailleurs, Daniel Blake met lui-même en oeuvre en aidant une jeune mère de famille et ses 2 enfants, rencontrés à Pôle Emploi, fraichement débarqués dans la ville et sans ressources. En contrepoint des procédures et autismes du système, la relation d’échange et de solidarité entre Daniel et Katie et ses 2 enfants est un modèle d’équilibre et de respect mutuel.

Sans dévoiler la fin du film, les phrases qui le conclue décrivent l’espoir d’un monde pour monde à l’humanité retrouvée, pour un monde où le citoyen serait respecté et entendu, pour un individu reconnu et pris en compte. C’est tout le sens de « Moi, Daniel Blake, … ».

Certains pourront dire que la victoire de Donald Trump aux USA a été obtenue auprès des pauvres en réaction au système que dénonce Ken Loach. A l’opposé du discours d’exclusion et haineux de Trump, Ken Loach oppose un discours de tolérance et d’humanisme.

Peut-être Trump prétend-il défendre les « petites gens » contre « le système », mais j’ai la conviction qu’il renforcera les contrôles et la déshumanisation des relations au motif de lutter contre la fraude et les détournements du système, plutôt que de bâtir un modèle de relation basé sur la confiance et le respect des individus.

Oui, il faut changer de système, il faut changer le Système. Mais il y a différentes manières de le faire. Trump, Le Pen, Sarkozy, Erdogan, Poutine, Orban, pour n’en citer que quelques-uns (et pardon pour les autres que j’ai omis ;-)) sont les hérauts d’une forme intolérante et totalitaire. Podemos, Bernie Sanders et quelques autres en incarnent une autre. Mais cette liste des porteurs d’un autre modèle est courte et vacillante. Il nous reste à inventer et construire une autre manière de vivre ensemble, une autre manière de concevoir les rapports humains, une nouvelle façon de remettre l’humain au centre, une nouvelle approche de la gestion collective du bien commun. Trump a gagné, le système tue des Daniel Blake, CONSTRUISONS, DISCUTTONS, AGISSONS !

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