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Masques

Le port du masque ou son absence vont-ils devenir des marqueurs et des objets de conflits ?

Dans les discussions autour de la mise en oeuvre du (futur) déconfinement, la question de rendre le port du masque obligatoire est un des points importants avec le sujet des conditions mêmes d’un déconfinement partiel ou différencié.

AInsi donc, n’auraient le droit de sortir que les personnes portant un masque, même fabriqué par soi-même. Bien sûr, l’argument sera la protection de soi-même et des autres comme corollaire au retour à la « vie normale ».

Avant de se lancer sans réflexion dans cette « évidence » du port du masque, il convient quand même de mesurer les conséquences d’une telle décision.

Alors que jusqu’à présent, le port d’un masque dans l’espace public était, en France,  considéré négativement, le masque va devenir une obligation où « le bon » sera celui qui le porte et « le méchant », celui qui ne le porte pas.

Comme le rappelle justement l’anthropologie Frédéric Keck dans une tribune du journal Le Monde, l’espace public se définit en France comme un endroit où l’on se présente à visage découvert. Cet acquis des Lumières s’est construit en réaction contre les masques que portaient l’aristocratie dans les salons, et s’est renforcé progressivement ensuite jusqu’à l’interdiction du port du foulard islamique dans les écoles et les lieux publics.

En France, porter un morceau de tissu sur son visage est perçu comme un signe d’archaïsme et de domination ; se présenter le visage découvert est un signe de modernité et de libération.

Frédéric Keck, Le Monde, 07/07/2020

Sa conclusion est forte :

Le port du masque signifiera que la crise du Covid-19 aura marqué nos corps et nos esprits, comme la crise du SRAS a marqué ceux des populations asiatiques. Elle oblige à une perte de l’innocence, analogue à celle que le sida a imposée dans les rapports amoureux. De même, les attentats du Bataclan, en novembre 2015, ont mis fin à l’insouciance de la consommation d’un verre en terrasse. Nous porterons des masques en souvenir des victimes de l’épidémie pour protéger la population d’une maladie nouvelle qui nous affecte en commun. Ce ne sera pas un signe religieux et communautaire qui menace la laïcité, mais un signe public et commun de l’immunité collective.

Je ne suis pas certain d’y souscrire pour deux raisons :

  • La première, c’est l’inscription permanente dans le comportement collectif d’un geste qui devrait resté circonstancié. Dès l’épidémie terminée, rien n’oblige le port du masque, ni l’ostracisation de ceux qui n’en portent pas. Or, on se dirige, semble-t-il, vers le flou de la fin de l’épidémie, aussi bien semble-t-il pour des raisons médicales avec la possibilité de nouvelles vagues du même virus que de la potentialité presque certaine de l’arrivée d’autres virus. On se donc passé d’un monde insouciant à un monde de l’angoisse et de la peur et c’est cela que je refuse
  • La deuxième, beaucoup moins noble, c’est que le port du masque « a priori » constaterait la primauté du mode de pensée asiatique (cf aussi la tribune du Frédéric Keck). Après que ces dernières années aient vues l’émergence économique puis géopolitique de la Chine (cf cet article), adopter les modes opératoires culturels de la Chine, c’est finalement reconnaître le déclin de l’Europe et de son mode de pensée. Déjà réel économiquement et politiquement, s’il advient culturellement, il n’est pas ceryain que nous ne devenions d’ici 20, 30 ans, les ouvriers de l’Asie dans un renversement radical de l’histoire.

Quelles solutions, alors ? Il faut d’abord lutter contre une forme de peur, d’angoisse face à la maladie. On nous fait croire en un monde où, grâce à la médecine, la technologie, la toute-puissance de l’être humain peut efficacement se prémunir contre la mort. C’est une illusion qui nous empêche d’accepter la mort comme une étape de la vie, qui conduit à prolonger la vie sur de très longues périodes, parfois à des coûts très importants, voire même, pour certains, à croire ou à revendiquer l’éternité. Oui, on peut attraper des maladies, oui, on peut en mourir. Cela ne veut pas dire qu’il faut aller à leurs devants, mais cela ne veut pas dire non plus qu’il faille tout organiser autour de son évitement.

Dans un monde libre et conscient, l’individu peut choisir ou non de mettre son masque. S’il est malade ou en situation de risque pour les autres, il choisit en conscience de mettre son masque pour les protéger. Si une personne se sent faible, à risque du point de vue des conséquence d’une contamination, elle met en conscience son masque pour se protéger elle-même et se rassurer. La société s’est organisée pour faciliter l’accès des masques à tous et à permettre l’évitement des situations à risques pour ceux qui le souhaitent. Si les zones de forte densités humaines sont à risques, permettons alors aux personnes qui le souhaitent de les éviter. Organisons, par exemple, des livraisons, et surtout, changeons notre paradigme pour moins dépendre des grandes surfaces au profit de petit commerces de proximité. Ce ne sont que quelques exemples, mais je suis certain que la solution viendra plus d’une modification de nos modes de vie dans un mode responsable, informé et libre que dans un monde de contrainte, de peur et d’ostracisation.

Source : Tribune de Frédéric Keck, Coronavirus : « En France, l’obligation de porter le masque serait une révolution » dans le Monde et sur lemonde.fr

Libre arbitre

rectifyJ’aime les séries télé, particulièrement les séries américaines qui ont une liberté de ton sur les sujet de société et un réalisme qu’on ne rencontre que rarement dans les séries françaises.

Rectify est une série américaine de la chaîne Sundance TV qui se déroule en Géorgie. Et c’est une des meilleures séries que j’ai jamais vue.

Le prétexte est assez simple : 20 ans auparavant, Daniel Holden a été condamné à mort pour le viol et le meurtre d’Hannah, une jeune fille de 16 ans. Il vient de passer 20 ans dans le couloir de la mort, attendant son exécution. La saison 1 commence avec sa libération, fait rarissime, car des analyses d’ADN ont montré qu’il n’était pas l’auteur du viol.

Dans une ville moyenne américaine, Paulie, une partie de la population, le sénateur local, ne croit pas à son innocence dans la mesure où il avait avoué au cours de son interrogatoire, alors que sa famille, et particulièrement sa sœur, qui était âgée de 12 ans à l’époque, ont vécu ses années dans la certitude de sa mort et dans l’espérance de le revoir.

Daniel et sa famille, sa soeur, lui-même, sa mère;, son beau-père, son demi-frère accroupi, la femme et le fils de son beau-père
Daniel et sa famille, sa soeur, lui-même, sa mère;, son beau-père, son demi-frère accroupi, la femme et le fils de son beau-père

Mais l’essentiel de la série n’est pas là. Comment renait-on à la vie après 20 ans de prison, dans l’isolement et la certitude de mourir ? Comment survit-on dans ces conditions ?

Les épisodes sont parsemés de moment merveilleux de rencontres, de pure beauté, d’innocence. Mieux, ces moments éclairent littéralement les moments difficiles :

les acteurs, Adelaide Clemens et Aden Young
Tawney et Daniel
  • le personnage de sa belle sœur, Tawney, fondamentalement croyante, sincère, naturelle, innocente, mais sans naïveté. Elle veut croire que le monde peut être beau, même si elle constate que ce n’est pas le cas. Elle doute, et de plus en plus à cause de Daniel, mais elle choisit de rester honnête et sincère, quoi qu’il lui en coûte.
  • Les rencontres, comme celle d’une amateur d’art dans un musée, avec tout ce qu’il y a de possibilité et d’impossibilité, ou celle d’un brocanteur qui sert de révélateur à ce qui est masqué.
  • L’émerveillement d’un lever de soleil, d’une jeunesse qui fait du vélo, d’une musique qui sonne dans une cellule comme un contrepoint absolu à l’uniformité et aux imites d’une cellule blanche, …, chaque situation rappelle à Daniel que la vie est là et qu’il faut sans cesse faire le choix de la vivre, que ne pas vivre n’est pas un choix.

La grâce de certaines scène, la manière avec laquelle les situations sont amenées, en douceur, en finesse, sans pathos et sans démonstration, est remarquable. Parfois sans aucun mot, avec un cadre qui suggère plus qu’il ne montre, une émotion très forte se construit.

Attention, on n’est pas dans film mièvre ou bercé d’un positivisme absolu. Bien au contraire. La mise en scène est lente, les scènes prennent le temps de s’installer, beaucoup de choses ne sont pas dites mais s’installent progressivement.

Les acteurs, de gauche à droite, Aden Young et Abigail Spencer
Daniel et sa sœur, Amantha

Chacun des personnages a une douleur profonde, un doute. Sans qu’on sache jamais vraiment si elle aurait été absente si Daniel  n’existait, si cette douleur est un conséquence ou si elle est indépendante de l’histoire de Daniel.

Quand il est question d’amitié ou d’amour, cette douleur est  toujours présente, possible et impossible sont inextricablement mêlés.

Cette note s’intitule Libre Arbitre. Parce que la vie est fait de nos choix et qu’on doit en assumer les conséquences. Les quelques jours de liberté de Daniel sont en permanence jalonnés des choix qu’il doit faire et que font ceux qui l’entoure.

Daniel en prison
Daniel en prison

Si par certains côté, Rectify rappelle True Detective (du moins la saison 1) du fait de sa lenteur et de son approche psychologique des personnages et de leurs sentiments, elle atteint une densité très supérieure pour une série qui dont la saison 3 commence en ce moment aux USA. Le final de la saison 2 amène un cliffhanger de toute beauté en cristallisanten quelques minutes les dynamiques différentes de chacun des personnages.

A voir absolument.

Note : la série est diffusée sur Sundance Channel et sur Arte.

Une idée qui relie

On en reparlera, mais je ne peux résister à publier cet extrait :

Dans une de leurs brochures, des opposants à la construction de la ligne ferroviaire Lyon-Turin écrivent : « Que signifie être No TAV ? C’est partir d’un énoncé simple : « le train à grande vitesse ne passera jamais par le Val de Suse » et organiser sa vie pour faire en sorte que cet énoncé se vérifie. Nombreux sont ceux qui se sont rencontrés autour de cette certitude au cours des vingt dernières années. A partir de ce point très particulier sur lequel il n’est pas question de céder, le monde entier se reconfigure. La lutte dans le Val Susa concerne le monde entier, non pas parce qu’elle défend le « bien commun » en général, mais parce qu’en son sein est pensée en commun une certaine idée de ce qui est bien. Celle-ci s’affronte à d’autres conceptions, se défend contre ceux qui veulent l’anéantir et se lie à ceux qui se trouvent en affinité avec elle. »

 

Extrait de A nos Amis, du Comité invisible, La fabrique éditions, page 187.

A suivre.

L’urgence de ralentir – ARTE

Un très intéressant documentaire a été diffusé début septembre par ARTE sur une idée de Noël Mamère.

La parole est donnée à tous ceux, en France, au Royaume Uni, aux USA et ailleurs, qui inventent un nouveau monde.

Un monde de partage, un monde qui lutte contre les grands projets inutiles, un monde qui rinvente la communauté et la solidarité.

A voir absolument.

Note : En suivant ce lien, vous serez redirigé vers le site de ARTE présentant le documentaire.

Liberté

Obligé de redéfinir ce qui fonde mes idées et mon action politique, j’ai eu la chance qu’une amie me définisse personnellement un jour comme libertaire. Je ne l’avais formulé comme cela auparavant, mais cette définition extérieure m’a ouvert une porte de compréhension de mes valeurs qui s’est avérée fructueuse.

Donc, oui, je me défini comme Libertaire. Qu’est-ce que cela signifie, concrètement ?

La première valeur à mes yeux, c’est le libre-arbitre : c’est-à-dire la possibilité de décider en toute conscience de ses choix.

Cela peut paraître simple comme définition, mais chaque mot compte.

      • Décider : mes choix sont les miens, ils ne sont pas la résultante d’une pression, d’une coercition, d’une contrainte, d’un ordre externe. C’est un choix librement consenti. Par exemple, j’ai toujours pensé que m’obliger à mettre ma ceinture de sécurité en voiture était une atteinte à ma liberté individuelle. Cependant, je mets ma ceinture en voiture. Pas par peur de la police ou d’une amende, mais par décision consciente, qu’il valait mieux mettre ma ceinture en cas d’un éventuel accident. Et pour toutes les mauvaises langues, l’alerte sonore de ma voiture s’arrêtant au bout de 1 minute, j’ai suffisamment de patience pour attendre ce laps de temps.
      • En toute conscience : pour pouvoir être libre, il faut être conscient. Pour être conscient, il faut être éduqué, informé, il faut pouvoir exercer sa raison, ses capacités critiques. Il faut pouvoir débattre, s’enrichir de la différences des autres. Les choix ne sont pas des décisions par défaut, par absence d’alternative, par paresse, mais au contraire le résultat d’une réflexion, d’une conscience des choses qui permet d’accepter librement ses choix, éventuellement d’en changer, sans regrets, sans amertume, sans ressentiment.

Tout cela serait bien simple si nous vivions seuls. Mais, heureusement, ce n’est pas le cas.

Mon deuxième principe est alors que ma liberté s’arrête où celle des autres commence. Encore une fois, nulle coercition ici. Je fait le choix conscient que l’expression de ma propre liberté ne doit pas entraver l’expression de la liberté de quelqu’un d’autre. Ce n’est pas l’autre qui bride ma liberté, c’est moi qui choisit librement d’ajuster la portée de ma liberté à ce qui est acceptable pour l’autre. Dans une discussion récente avec des amis, quelqu’un a posé la question suivante : « un vrai libertaire peut-il demander la fidélité de son compagnon ? ». Question complexe, mais, à mon sens, mal formulée parce qu’elle renverse le sens de la relation. La fidélité est une notion morale et n’a rien à faire ici. Un libertaire ayant une relation régulière et organisée avec une compagne ou un compagnon (ou même un mari ou une femme, je suis marié et heureux de l’être, et ne sens en aucune façon ma liberté réduite) peut avoir une « aventure », cela fait partie de sa liberté. Peut-il l’avoir dans un contexte où celle-ci réduirait la liberté de son compagnon, absolument non. Ce serait le cas, par exemple, si l’aventure se produisait avec quelqu’un que connaît son compagnon (le regard d’une des parties serait modifiée) ou si la relation apportait un risque que pourrait subir le compagnon. Tout ceci, bien sûr, tant qu’on ne souhaite pas redéfinir la nature de la relation avec son compagnon. Dans ce cas, le vrai libertaire aura toujours l’honnêteté de la vérité.

Si l’on peut facilement établir des règles inter-personnelles, nous vivons dans une société. Troisième principe absolu, L’Homme est foncièrement bon, c’est la société qui le perverti. Si c’est la société qui pervertit l’Homme, alors une société libertaire doit rechercher à établir ce qui permettra à l’Homme d’être libre. L’éducation et la formation, la liberté d’expression, de publication, d’information, de réunion, de manifestation, de circulation, le droit au travail, au logement, la liberté culturelle et cultuelle, le droit à une nourriture et à un environnement sain, le droit au respect, l’échange non marchande et sans intervention de l’argent, les monnaies locales, tous ces éléments forment le fondement d’une liberté de l’Homme et d’une société libre. La société capitaliste, les obscurantismes religieux, la bêtise, la somme des intérêts égoïstes, l’ignorance, s’allieront pour contrer la naissance d’un monde basé sur d’autres principes. La transformation sera longue, lente, chaotique, aucune naïveté à avoir, même difficile, un autre chemin est possible. L’individualisme, le repli sur soi ne sont pas des choix possibles. Ce sont des non-choix.

Quelle que soit la taille de la société dans laquelle nous vivons, nous y vivons et c’est là que nous devons agir. C’est pourquoi le quatrième principe est un principe politique, celui de la primauté du politique sur l’économique. Dans mon esprit, la politique est d’abord une agora, un lieu où l’on débat, où l’on échange, où chacun peut prendre la parole. Le responsable politique n’est pas celui qui dit ce qui doit être fait mais celui qui met en œuvre ce qui a été décidé au sein d’une collectivité. Dans une société libre, la responsabilité politique doit être partagée, être révocable, limitée dans le temps et dans sa portée. Les mandats doivent être courts et non reconductible pour permettre au plus grand nombre d’exercer des responsabilités. Cependant, rien de possible sans diffusion de la connaissance. Internet est un formidable moyen de mettre en relation des gens, de diffuser des idées, de partager des expériences, de publier des connaissances, d’accéder à l’information. Militer pour un internet libre et accessible, pour des logiciels libres et sécurisés, pour une information libre et ouverte, ce sont des conditions nécessaires à l’émergence d’un débat politique démocratique.

Un esprit critique répondrait aux arguments ci-dessus que ces principes ne sont pas applicables à grande échelle. L’universalité de la liberté est le cinquième principe sur lequel nous devons nous appuyer. Il ne saurait y avoir de limites à la portée de la liberté. Impossible de réduire la liberté d’un groupe au bénéfice d’un autre groupe. Le principe de liberté doit s’appliquer à tous tout le temps. Impossible de réduire les flux migratoires au bénéfice de l’emploi des résidents locaux. Si la société inégalitaire que nous avons créé génère des déséquilibre qui conduisent certains à tout quitter pour rejoindre un autre pays censément meilleur, il faut d’abord rétablir l’équilibre, pas rejeter les migrants. Bien sûr, tout cela à un coût. Mais ne vaudrait-il pas mieux payer au juste prix les richesses du sous-sol en Afrique que de devoir ensuite injecter artificiellement de l’argent pour rétablir un certain équilibre.

Libre-arbitre, respect de la liberté des autres, principes de société, action politique et universalité sont les 5 axes que j’utiliserai dorénavant pour juger de toute décision, de tout choix politique que j’aurai à faire.

Il y aurait certainement beaucoup à dire sur le sujet. Que les lecteurs critiquent, commentent et amendant ! Que les experts en liberté proposent lectures et débats !

Note : cette note a été publiée initialement dans mon précédent blog, le 7/09/2014. Elle a été reproduite ici comme le texte fondateur de cette nouvelle étape.