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Cesser de nuire

Comment est-ce arrivé ? Que pouvons-nous faire ?

Beaucoup s’interrogent et peuvent se sentir impuissants dans un système mondialisé à trouver des solutions et les appliquer.

Ce qui commence à apparaître assez clairement, c’est qu’on n’est pas seul  à se poser des questions et que la crise légitime la parole de ceux qui propose des solutions différentes de celles du « système ».

Voici 2 exemples parmi des centaines d’autres entendues ou lues ce derniers jours.

Tout d’abord l’entretien de Corinne Morel-Darleux, conseillère régionale eco-socialiste dans Mediapart

(Question de Mediapart) Dans votre livre, vous mettez en évidence une notion qui prend tout son sens aujourd’hui : le « cesser de nuire », comme la « lutte contre l’hubris en train de détruire les conditions d’habitabilité de la planète ». Il faut produire autrement, questionner nos besoins, diminuer notre consommation, dites-vous. Ce « cesser de nuire » pourrait-il constituer la nouvelle matrice de notre organisation collective ?

Cette notion peut s’entendre à différents niveaux. J’y ai particulièrement pensé dans les premiers jours de l’épidémie en France, quand les consignes n’étaient pas encore claires et que nous avons pris conscience que nous pouvions tous être porteurs du virus et, à notre corps défendant, constituer un danger pour l’autre. C’est avec ce souci d’autoneutralisation, de « ne pas nuire », que j’ai pris la décision de ne pas aller voter au premier tour des municipales.

Mais à l’origine, cette notion portait une dimension beaucoup plus sociétale. Il s’agissait pour moi d’interroger nos manières de produire et de consommer, en prenant conscience de la matérialité de l’ensemble de la chaîne en amont. On trouve en France des tee-shirts à 3 euros fabriqués au Bangladesh dans des conditions de travail indécentes. À qui cela nuit-il ? Qui en tire profit ? Pourquoi est-ce nécessaire de faire autrement et comment faire ? Que cela nous dit-il de la précarité, ici et là-bas ? Pour quelle empreinte carbone ?

Cesser de nuire, refuser ce système, cela revient à s’interroger collectivement.

Dans ce cas précis, cela implique non seulement d’arrêter d’acheter soi-même ces produits, mais aussi, politiquement, de trouver le moyen de cesser d’importer des marchandises qui sont le produit de l’exploitation. Il faut relocaliser la production, lutter contre la pauvreté, afin que chacun puisse se payer des biens produits dans des conditions sociales et environnementales dignes. C’est une question qui relève de la délibération collective. Elle est centrale selon moi.

Cesser de nuire, voilà un paradigme que chacun peut appliquer pour décider ce qui est bon de faire ou pas.

Source : https://www.mediapart.fr/journal/france/310320/corinne-morel-darleux-la-pandemie-ne-doit-pas-servir-etouffer-les-luttes

Un autre exemple dans un entretien avec Rob Wallace, biologiqte, qui rappelle utilement que si les coûts engendrés à la société par l’industrie, notamment agricole, étaient réintégrés dans leurs charges, elles ne pourraient tout simplement pas survivre.

Ces entreprises peuvent simplement externaliser les coûts de leurs opérations épidémiologiquement dangereuses sur le reste du monde. Des animaux eux-mêmes aux consommateurs, en passant par les travailleurs agricoles, les environnements locaux et les gouvernements du monde entier. Les dommages sont si importants que si nous devions réintégrer ces coûts dans les bilans des entreprises, l’agrobusiness tel que nous le connaissons serait définitivement arrêté. Aucune entreprise ne pourrait supporter les coûts des dommages qu’elle impose.

Et de rappeler l’absence de système de santé au Etats-Unis accessible à tous.

Il pourrait être intéressant dans le contexte étatsunien d’exiger une ordonnance d’urgence qui stipule qu’en cas de pandémie, toutes les factures médicales liées aux tests d’infection et au traitement après un test positif soient prises en charge par le gouvernement fédéral. Nous voulons encourager les gens à chercher de l’aide, après tout, plutôt que de se cacher – et d’infecter les autres – parce qu’ils n’ont pas les moyens de se faire soigner. La solution évidente est un service national de santé – doté d’un personnel et d’équipements suffisants pour gérer de telles urgences à l’échelle de la communauté – afin qu’un problème aussi absurde que celui de décourager la coopération communautaire ne se pose jamais.

Source : https://acta.zone/agrobusiness-epidemie-dou-vient-le-coronavirus-entretien-avec-rob-wallace/

Biodiversité

Sur France Inter, le 31 mars 2020 en interviewant Esther Duflo, Léa Salamé semble douter de la pertinence des voix qui évoquent la nécessité d’un autre modèle, voix qu’elle appelle « les décroissants ». Ecoutons-là :

« On entend depuis le début de la crise beaucoup d’anti-mondialisation, de décroissants … »

ou plus tard :

« Donc ceux qui remettent en cause la mondialisation … »

Hors de question de juger bien sûr des convictions de Léa Salamé, mais ce n’est pas être un grand révolutionnaire ou un honteux décroissant anti-mondialiste que de reconnaître que la mondialisation est une des cause de la crise sanitaire que nous vivons.

Citons « un dangereux décroissant anti-mondialiste », Serge Morand, écologiste de la santé, Directeur de recherche au CIRAD (Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement) qui, dans une interview dans Le 1 du 18 mars 2020 sous le titre « Nous créons de nouvelles conditions écologiques propices aux épidémies » donnait plusieurs exemples de transmissions virales à l’être humain (maladies liées à l’animal, zoonoses) comme le virus Nipah en Malaisie au début des années 1990. Parce que l’être humain convertissait les forêts de Bornéo et Sumatra en cultures de palmier à huile, les chauves-souris qui vivaient dans ces forêts se sont réfugiées dans à proximité de fermes semi-industrielles, dans les arbres fruitiers et ont contaminé les cochons de la ferme et par suite l’être humain.  C’est un processus probablement identique qui est à l’oeuvre pour les coronavirus. Des chauves-souris ont contaminés les civettes, petits mammifères vendus sur les marchés asiatiques pour être vendus. « Le problème n’est donc pas la biodiversité, mais bien le fait de la perturber » dit-il en constant que le nombre d’épidémies de zoonoses est totalement corrélé au nombre d’animaux en voie de disparition. Et de d’ajouter

« (qu’)il faut mettre fin à ces échanges (mondialisés) et réhabiliter l’économie circulaire. En favorisant de nouveau l’agriculture locale, en relocalisant nos industries dans un bien meilleur milieu social et sanitaire, en arrêtant le transport des marchandises, on y gagnera non seulement au niveau sanitaire, mais aussi d’un point de vue économique et de bien-être ».

Ce qui se jouera après la crise sanitaire est là : « Comment éviter que cela recommence » ? ON aura le choix entre traiter les causes ou leurs effets,  soit on change de modèle, on remet en cause notre manière de vivre, de consommer, nos métiers mêmes, on redéfinit l’utilité sociale et les salaires qui vont avec, et on s’adresse aux causes, soit on se protège de tout et de tous, on s’enferme, on réduit nos libertés et notre ouverture en s’attaquant seulement aux effets. Ne laissons personne choisir à notre place.

Sources :
  • Le grand entretien du 7/9 de France Inter du 31.03.2020 avec Esther Duflo

Image d’en-tête : une civette africaine. Par John Gerrard Keulemans — http://www.finerareprints.com/animals/lydekker_cats/vol_animals_lyd_cat_2834.htm, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=266711

r > g – Conférence Thomas Piketty sur TED

En complément de la note précédente sur les monnaies locales, je vous invite à écouter la conférence de Thomas Piketty donnée à TED Salon à Berlin en Juin 2014 sous le titre New thoughts on capital in the twenty-first century (que je traduirai par Une nouvelle manière de penser le capital au 21ème siècle).

Certes, elle est en anglais (avec sous-titres en anglais) et nécessite quelques bases de finances, mais le message est clair : les revenus du capital sont aujourd’hui supérieurs à l’augmentation de  la richesse due à la croissance. Autrement dit,  le capital peut ne consacrer que 20% de sa richesse à l’investissement pour maintenir sa richesse à un niveau égal à celui que produit la croissance de l’économie. Ceci conduit à une perpétuation infinie de la concentration de la richesse dans les mêmes mains. Et la conclusion est qu’il faudrait commencer à mettre en place un début de taxation de ces richesses pour, d’une part, avoir une meilleure compréhension des mécanismes économiques, et, d’autre part, commencer de contre-balancer le principe d’accumulation des richesses.

Bien sûr, cette présentation ne remet en cause ni le capitalisme, ni la croissance. Il est néanmoins intéressant de constater le succès qu’à eu le livre de Thomas Piketty, le Capital au 21ème siècle, notamment aux Etats-Unis d’Amériques, et de voir que l’inégalité dans l’accumulation de capital pouvait être une question à adresser.

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